L'actualité en médecine dentaire

« J’aime le débat contradictoire »

À la tête de la FMH depuis 2021, Yvonne Gilli est la présidente des médecins de Suisse. Dans cet entretien, elle nous parle du rôle des associations professionnelles en politique ainsi que des projets de réformes du système de santé – des plus judicieux comme des autres.

Yvonne Gilli, avant de devenir présidente de la FMH, vous avez siégé comme élue Verte au Conseil national. Qu’est-ce qui est le plus difficile : le travail parlementaire ou guider les médecins de Suisse ?

Je dirais que les défis ne manquent ni ici ni là. En tant que présidente de la FMH, je dirige le Secrétariat général et le Comité central de la FMH. Au Parlement, c’était différent ; là, je représentais le peuple. Dans un cas comme dans l’autre, rien ne vous est donné. Mais il y a une grande différence que j’apprécie beaucoup en tant que présidente de la FMH : je peux me concentrer sur la politique de santé. Au Parlement, le champ est très large. Certes, on se spécialise – pour moi c’était la politique de santé –, mais j’étais encore membre de la Commission de l’éducation et de la Commission des finances, où je m’occupais de politique des transports. Pour bien maîtriser les dossiers politiques, il faudrait pouvoir plus approfondir les sujets. Maintenant que je représente les médecins, je suis de l’autre côté de la barrière et je remarque que ce manque de profondeur est parfois préjudiciable à une communication d’égal à égal.

Pensez-vous que les associations professionnelles devraient jouer un rôle plus ­important dans la politique suisse ?

C’est certain. Nous avons un parlement de milice, ce qui est financièrement avantageux. Mais cela signifie aussi que les parlementaires ne peuvent pas s’offrir une expertise indépendante et qu’ils dépendent des informations que leur donnent les groupes d’intérêts et les organisations professionnelles.

Avez-vous le sentiment que les organisations professionnelles sont écoutées ?

L’écoute réciproque est une question culturelle et cette culture de l’écoute est en forte érosion dans notre société. La polarisation et l’exclusion augmentent. Pour vous donner un exemple : souvent, on ne me perçoit plus que comme une représentante d’un groupe d’intérêts, alors que nous devons définir un cadre fonctionnel pour plusieurs professions. On n’avance que si l’on a une compréhension partagée des problématiques.

Quels sont vos objectifs politiques à la présidence de la FMH ?

Avant tout les deux grandes réformes du financement du système de santé : l’introduction du TARDOC, le nouveau tarif ambulatoire, et EFAS, le financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires. Dans le système actuel, les traitements stationnaires, qui sont tendanciellement plus chers, sont plus avantageux pour les assureurs parce que les cantons assument au moins 55 % des coûts, tandis que les traitements ambulatoires sont financés uniquement par les primes d’assurance-maladie. Cela n’incite pas à traiter les malades chroniques de façon à ce qu’ils puissent mener une vie plus stable et il en résulte donc des surcoûts pour le système de santé.

Depuis peu, la FMH s’intéresse aussi aux questions de durabilité et de protection de l’environnement dans la médecine. Faut-il mettre cela sur le compte de la politicienne verte que vous avez été ?

Au départ, ce thème a été mis sur la table par la SWIMSA, l’Association Suisse des Étudiants en Médecine. Puis l’Association suisse des médecins-assistant(e)s et chef(fe)s de clinique, l’ASMAC, s’est emparée du sujet et elle a su convaincre une majorité au sein de la Chambre médicale. La santé planétaire, ou planetary health, est une approche importante et le système de santé peut apporter une contribution essentielle. Le cœur de notre activité reste toutefois la défense des intérêts de nos membres : créer de bonnes conditions pour les futurs médecins et garantir la qualité des prestations de soins.

La FMH combat les trains de mesures du Conseil fédéral visant à maîtriser les coûts de la santé publique. Pourquoi un professionnel de la santé devrait-il s’opposer à ce projet, s’il permet de faire des économies ?

Les trains de mesures proposés par le Conseil fédéral s’appuient sur un rapport d’experts demandé par le Conseiller fédéral Alain Berset il y a quelques années. Leur objectif est de renforcer l’économicité des soins de santé. Il s’agit en particulier que les partenaires tarifaires fixent des « objectifs de maîtrise des coûts », autrement dit un budget prévisionnel ou une enveloppe budgétaire. L’une des conséquences de ce modèle pourrait être une moins bonne indemnisation des prestations à partir du moment où le budget fixé est dépassé. Cela serait en ­totale contradiction avec la loi sur l’assurance-maladie, avec les objectifs constitutionnels et avec le principe même de l’assurance. Les personnes les plus touchées seraient les patients qui ont besoin des prestations les plus chères. Dans la médecine somatique, ce sont les malades chroniques. L’Alle­magne connaît ce modèle depuis une ­dizaine d’années. Depuis, les patients doivent attendre longtemps pour obtenir des prestations ; autrement dit, la qualité des soins s’est dégradée. De plus, l’objectif de maîtrise des coûts n’a pas été atteint : les Allemands dépensent aujourd’hui environ 16 % de leur revenu pour l’assurance de base et les Suisses, seulement 7 %. Il y a aussi un aspect lié au partenariat tarifaire : les assureurs veulent des soins bon marché et des primes basses, tandis que nous, les fournisseurs de prestations, nous misons sur la qualité des soins, qui a son prix. Si l’on intervient dans cette négociation depuis l’extérieur, on affaiblit les partenaires tarifaires.

Justement, on entend dire que la confiance est rompue entre les partenaires. Pensez-­vous qu’un partenariat tarifaire soit ­encore possible ?

Oui, preuve en est la volonté de fonder prochainement une organisation tarifaire nationale dont la tâche consistera à définir et à développer les structures tarifaires pour les traitements ambulatoires, tant pour les prestations au forfait que pour les prestations individuelles. Dans les négociations tarifaires, il n’est pas facile de dégager un consensus. Mais il vaut la peine de rester professionnels et ouverts au compromis, car la discorde entre les partenaires tarifaires sème le doute dans la population. En fin de compte, nous avons tous besoin de soins médicaux.

Quelles réformes politiques pourraient réellement améliorer le système de santé ?

Les deux réformes du système de financement que j’ai déjà évoquées : le nouveau tarif ambulatoire TARDOC, qui implique le développement des forfaits ambulatoires dans l’organisation tarifaire commune, et le financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires. Je voudrais aussi que la politique prévoie une rémunération adéquate pour l’interprofessionnalité afin que celle-ci puisse véritablement être pratiquée au quotidien. Nous avons besoin d’une collaboration interprofessionnelle, avec de nouveaux profils correspondant à ceux de physician assistant ou d’advanced practice nurse pour pouvoir faire face à l’évolution démographique et à la pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Ces aspects pourraient être intégrés dans la réforme tarifaire TARDOC.

En parlant de pénurie de main-d’œuvre, vous avez d’abord suivi une formation ­d’infirmière avant de vous lancer dans des études de médecine. Trouvez-vous que l’on n’affecte pas assez de ressources pour les soins ?

Les médecins ont soutenu l’initiative sur les soins infirmiers ainsi qu’un développement conjoint des professions. La législation parle actuellement de compétences de décision partagées, ce que je trouve problématique. Selon moi, les responsabilités doivent être réglées clairement : la compétence revient soit au ­personnel médical soit au personnel infirmier. Un manque de clarté dans la répartition des responsabilités peut avoir des conséquences sur les soins prodigués aux patients. Pour nous, il est important de ne pas monter les différentes professions de santé les unes contre les autres, car nous fournissons une prestation de service collective et nous avons tous un point commun essentiel : nous voulons un système de santé de qualité.

Que pense la FMH du fait que certains fournisseurs de prestations, comme les psychologues, puissent facturer leurs prestations à la charge des assurances sociales à titre indépendant ?

Nous verrons comment cela va évoluer. Il faut assurer un bon suivi afin de garantir le contrôle des coûts et la qualité. À cet égard, je pense que tous les fournisseurs de prestations devraient être soumis au même régime. Cela impliquerait qu’il y ait un monitoring, afin que l’on puisse faire des appréciations qualitatives. De plus, les responsabilités et les compétences doivent être clairement délimitées. La FMH craint que les dossiers complexes des patients restent sur les bras des médecins et que les goulets d’étranglement demeurent à ce niveau-là.

La FMH défend ses intérêts dans le cadre de négociations difficiles. Qui sont vos ­adversaires politiques préférés ?

En réalité, j’aime le débat contradictoire, car chaque adversaire amène de nouveaux arguments auxquels je n’avais pas forcément pensé. Dans le partenariat tarifaire, je pense par exemple aux assureurs : ils nous obligent à travailler de manière rentable et à prouver la qualité de nos prestations avec des chiffres. Si nous négocions sur ces questions d’égal à égal, nous pouvons assumer la responsabilité de notre travail sans demander à l’État d’intervenir subsidiairement.

Portrait

Yvonne Gilli, spécialiste en médecine interne générale, dirige un cabinet spécialisé en médecine complémentaire et gynécologie à Wil (SG). Élue sous la bannière des Verts en 2007, elle siège au Conseil national jusqu’en 2015, où elle est membre de la Commission de la santé. En 2016, Yvonne Gilli devient membre du Comité central de la FMH en tant que responsable du dicastère de la numérisation et de la santé numérique (eHealth). Elle est élue à la présidence de la fédération et de ses 43 000 membres en 2020.

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